Alexandre Dumas

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XIXème siècle littéraire et antisémitisme

 

 

OLYMPE DE CLÈVES

 

 

De l’enchantement
à l’expectative

 

 

    Après avoir connu l’enchantement en lisant les cent ou deux cents premières pages d’un de ces excellents récits romanesques dont le XIXe siècle a le secret, on est quelquefois surpris et subitement « refroidi » par le surgissement, au détour d’un paragraphe, d’une saillie antisémite qu’on n’avait pas vu venir ! Fâcheuse et contrariante expérience rencontrée en l’occurrence lors d’une lecture très largement entamée du roman Olympe de Clèves (1852) d’Alexandre Dumas.
    A l’occasion de passionnantes incursions chez Maupassant, Wilde ou Jules Verne, par exemple, s’était déjà révélé combien de « poussées » de ce type — acerbes, méprisantes, totalement décomplexées, largement admises et ostensiblement approuvées en leur temps — pouvaient s’ébattre, folâtrer, s’enhardir même, sans vergogne et satisfaites d’elles-mêmes, dans les textes.1
   
Autre temps, autres mœurs ! dit-on ordinairement. Pas si sûr, en réalité… si l’on considère notamment une actualité peu reluisante et bien inquiétante… Mais, en revanche, on ne peut « refaire l’Histoire » !
   
S’il ne faut pas manquer de leur appliquer une critique sévère et une analyse sans concession, on ne peut guère préconiser de faire « table rase » des pratiques littéraires du passé au motif qu’elles se sont parfois très lourdement et très gravement fourvoyées, ne serait-ce parce qu’au premier chef ces pratiques littéraires étaient au diapason des mœurs générales de « leur époque ». Comment se refuser à cette réalité sociale-historique ? Un « devoir de mémoire », une forme d’honnêteté intellectuelle, s’imposent là-aussi.
   
En partie pour cette raison, de nos jours, est-il logique de cautionner certaines démarches d’éditeurs qui se sont proposées de supprimer des mots jugés "inappropriés" contenus dans les textes d’Agatha Christie ou qui ont décidé d’épurer certains livres pour la jeunesse d’autrefois dotés d’un langage aujourd’hui certes contestable ? En extrapolant vers les cas extrêmes, interdire Céline (1894-1961), Morand (1888-1976), Barrès (1862-1923), ne paraît pas davantage opportun car ne faut-il pas se tenir instruit des scories ignominieuses qui jalonnent leurs proses ?2
   
Quelle erreur que vouloir gommer, effacer, caviarder ! Quelle erreur que de vouloir mettre la poussière sous le tapis ! Quel acte forcené, criminel parfois, que de vouloir nier, enterrer l’Histoire, brûler les livres, annuler les traces de jadis.
  
Il paraît manifestement peu judicieux d’occulter les modes de pensée et les agissements parfois discutables et honteux qui ont été ceux des périodes qui nous ont précédées, modes de pensée et agissements qui ne doivent pas échapper à la vigilance ni demeurer sans réaction. Toutefois, l’application de ce « principe » ne dissipera jamais le fait qu’il pourra toujours être particulièrement offensant et oppressant pour une personne d’origine ou de confession juive de lire à l’époque actuelle, en 2024, dans un livre d’Alexandre Dumas — écrivain par ailleurs d’une œuvre colossale, fabuleuse, inégalée — des propos tels que : « Un juif brave homme ! (…) Il faut que vous soyez bien saint, monsieur l’abbé, pour avoir vu un pareil miracle. »3.
   
Même après avoir été contextualisée, même après être passée au crible du discernement et de la raison, la réplique passe mal… et elle laisse aussi un goût amer chez l’auteur non-juif baptisé à l’église catholique du présent article. 

       Didier Robrieux

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  1. « On sait que dans la société du XIXe siècle, notamment, solidement enkystée dans une culture et une tradition de l'ignorance, du sectarisme, du mépris et de la domination, xénophobie et antisémitisme sont des conduites banalisées, communes, naturelles, aussi "naturelles" que le boire et le manger, ne portant généralement pas à questionnement ni à remise en cause, n'éveillant souvent aucune forme de trouble, de doute ou d'indignation particulière. » (« Figures du savant dans l’œuvre romanesque de Jules Verne », texte consultable en rubrique « Essais » de ce site). On pourrait rajouter que ces conduites furent, pour nombre d’entre-elles, également des ferments contributeurs de haine.
    Voir également « En lisant Maupassant - Portrait d’un collectionneur de tableaux » et « Oscar Wilde - Le Portrait de Dorian Gray » en rubrique «Articles /Livres » également sur ce site.

  1. Voir « Que faire des infréquentables ? », article d’Elisabeth Philippe,  Nouvel Obs n° 3089, 14 décembre 2023.

  1. Olympe de Clèves, Ed. du Cercle du Bibliophile, p. 202.

[ Août 2024 ]
DR/© D. Robrieux