Hommage
L'harmoniciste virtuose de jazz
Toots Thielemans
est décédé
Né le 29 avril 1922 à Bruxelles, le célèbre harmoniciste de jazz Toots Thielemans est décédé le 22 août 2016 à l'âge de 94 ans.
Un grand nombre d'amateurs de jazz a ressenti une vraie émotion en apprenant la nouvelle de la disparition de Toots Thielemans car cette personnalité était une référence musicale attachante, appréciée, respectée.
Toots Thielemans a entrepris tout au long de sa vie un travail remarquablement riche, une carrière foisonnante. Il sera en effet le partenaire d'orchestre ou d'enregistrement des musiciens de jazz les plus prestigieux : Charlie Parker, Benny Goodman, Dinah Washington, Gorge Shearing, Bill Evans, Ella Fitzgerald, Peggy Lee, Roy Elridge, Oscar Peterson, Gilberto Gil, Ray Bryant, Quincy Jones, John Scofield, Philip Catherine... Il est bien difficile de tous les citer.
Thielemans signera également la composition de plusieurs thèmes (dont le fameux "Bluesette" (1962) qui deviendra un standard joué partout dans le monde) ainsi que la réalisation de plusieurs musiques de films. Il est sans conteste le représentant n° 1, le tempérament le plus saillant de l'harmonica chromatique1 dans le jazz. Une sorte de pionner qui, par son talent, a su révéler combien cet instrument recelait de qualités et combien il pouvait concorder avec le jazz.
L'harmonica chromatique a longtemps été le parent pauvre en musique (tous genres pris en compte). Instrument délaissé par les musiciens. Instrument somme toute très populaire (qui n'a pas eu un harmonica chez lui ?; à qui n'est-il pas arrivé de jouer en autodidacte des airs tels que "O Suzanna" ou "When the saints" ?) mais rarement considéré avec conviction et étudier avec rigueur par les amateurs de musique.
Jadis de nombreuses méthodes d'harmonica ne prenaient pas l'harmonica au sérieux, c'est le moins que l'on puisse dire. Une de ces méthodes ne proclamait-elle pas que l'harmonica était "l'ami des scouts et des campeurs"?... En quelque sorte, un instrument tout juste bon à jouer "Santiano" ou "Et j'entends siffler le train". Nous pouvons aujourd'hui en rire.
En réalité, disons-le, l'instrument a fréquemment été perçu (et l'est encore parfois) comme un "sous-instrument", voire comme un "jouet". L'harmonica semble souvent rester résolument associé à un registre enfantin ou cucul la praline. On le regarde davantage comme un petit objet de rien du tout destiné à l'amusement, comme une curiosité folklorique, que comme un instrument à part entière propre à servir honorablement l'art musical.
Quelques interprètes ont eu le mérite (le courage, diront certains...) de s'efforcer de mettre l'instrument en lumière dans la veine variété, "entertainment" (Albert Raisner, etc.). Le blues, quant à lui, a toujours été comme on le sait abondamment et merveilleusement bien servi par l'harmonica diatonique et continue de l'être (de Sonny Boy Williamson à Jean-Jacques Milteau, etc.). De leur côté, la country et le folk n'ont jamais eu non plus à se plaindre du diatonique. Mais en revanche, en jazz, l'harmonica chromatique a toujours peiné à s'imposer malgré l'existence d'harmonicistes de talent malheureusement trop confidentiels qui se sont pourtant toujours acharnés contre vents et marées à lui donner une noblesse.
Pour être honnête, il y a sans doute mille raisons pour lesquelles l'harmonica a historiquement, culturellement, musicalement été jugé avec futilité. Selon les sensibilités, le timbre peut ne pas se montrer suffisamment attrayant, manquer de potentiel. Le jeu de l'instrument peut impacter diversement les oreilles. Certains harmonicistes abusent, c'est indéniable, trop fréquemment des notes voisines mêlées, des étirements, des enflures, des larmoiements, des vibratos et autres wouah wouah. Le jeu de l’harmonica ressemble trop souvent à une plainte, à une lamentation (quoi de plus pénible, par exemple, que les effets gémissants, lancinants, pauvres, façon Il était une fois dans l'Ouest...). Une fois, ça va; deux fois, bonjour les dégâts !... Ce côté geignard très répandu peut être désagréable à de nombreux auditeurs et ne pas plaider en sa faveur.
Toots Thielemans "est pratiquement l'inventeur de l'harmonica chromatique comme instrument de jazz susceptible de faire jeu égal avec les autres", indique Jean-Pierre Jackson2. On ne peut mieux dire ! Thielemans a notamment été de ceux qui ont démontré qu'il pouvait y avoir dans l'interprétation du jazz pour l'harmonica un autre son, une recherche d'épure, d'autres phrasés en dehors des "clichés" habituels.
Didier Robrieux
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1. Né dans la première partie du XIXe siècle, l'harmonica est un instrument à anches. Disposées sur une plaque d'harmonie, ces anches sont actionnées par l'air de l'exécutant ou de l'exécutante, tantôt en aspirant, tantôt en soufflant. La tirette disposée sur la droite de l'harmonica chromatique permet l'exécution des altérations.
L'harmonica diatonique ne dispose que des gammes de base (ce qui équivaut aux touches blanches du piano; gamme de 7 notes) et l'instrumentiste doit "créer" les altérations qu'il désire au moyen d'une technique spéciale de lèvres.
Pour sa part, l'harmonica chromatique dispose des altérations (ce qui équivaut aux touches blanches + les touches noires du piano; gamme de 12 notes).
Selon les dimensions, le nombre d'octaves varie.
Ajoutons que l'harmonica peut produire des sonorités fabuleuses lorsqu'il est joué sans sonorisation dans une salle dotée d'une bonne acoustique mais qu'il nécessite la plupart du temps une amplification (généralement au moyen d'un micro voix ou d'un micro dédié).
2. Jean-Pierre Jackson, La discothèque idéale du jazz, Ed. Actes Sud, 2015, p. 194.
Écouter // Voir :
Toots Thielemans - Bluesette
Bill Evans: Bluesette
Hermine Deurloo
https://www.youtube.com/watch?v=8QiWo4qT2PU
[ 2016 ]
DR/© D. Robrieux