DISQUES

Avishai yonathan portrait 01 eric garault

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

YONATHAN AVISHAI TRIO

Modern Times : premier volet
d'une suite d'albums

chez Jazz&people

 

    Le pianiste de jazz franco-israélien Yonathan Avishai est un vrai styliste. Il offre une musique encline au dénuement, peu sujette à la précipitation et à la tonitruance. Reposant à quatre-vingt-dix-neuf pour cent sur des compositions, son projet discographique nommé Modern Times a donné naissance à un premier album qui reste toujours solidement amarré à l'actualité.
    Pour ce Modern Times numéro 1 (Jazz&people, 2015), Yonathan Avishai s'est assuré la collaboration du contrebassiste Yoni Zelnik et du batteur Donald Kontomanou.
    Water, le prologue de l'album, est une pièce de piano seul et sans doute un des reflets les plus caractéristiques du tempérament musical du pianiste-compositeur-leader. En effet, pas de presse, d'excès, de superflu dans cette digression libre et pensive : jeu relâché, résolument aéré, en mode de confidence nappée de silence. On y croise des transitions aux résonances gospel ainsi qu'un passage faisant penser à la musique d'Indian Song de Carlos D'Alessio (allez savoir pourquoi ?...). En tout cas, rien ne vient perturber l'envie de réécouter plusieurs fois de suite Water et sa fin cristalline. Ce thème est par ailleurs repris à tempo un soupçon plus rapide par le trio avec un joli tracé swing, tracé swing que l'on retrouve aussi notamment dans I Got It Bad And - That Ain't Good (piano sans effusion avec un toucher souvent percussif; un vrai bonheur) ou dans Night In Zvulun (la batterie de Donald Kontomanou qui bruit toujours dans les altitudes, qui sonne céleste, qui crépite sans heurter tandis que retentissent les folâtres et versatiles incrustations du pianiste).
    Joué par les trois musiciens, Time [In B Flat] est une plage d'effets rythmiques assez mécanique qui pourrait être instaurée en mouvement perpétuel et qui engendre, il faut bien l'admettre, une tension qui alarme plus qu'elle n'égaye. Et pourtant c'est sur ces scansions qui semblent émaner d'automates mécontents que prend appui un des titres qui ensoleille l'album : Modern Times Blues (narration pianistique ordonnée, mais aussi roulés-boulés de trilles pour un blues emplie de ses essences profondes).
    Après un envol mélodieux, Étude I [Bass] propose une conversation complice avec la contrebasse de Yoni Zelnik. Ponctuations, touches de background au cœur de ce duo où le piano se fait d'abord accompagnateur. Une mouture d'Étude I mettant à contribution le groupe au complet et agrémentée de phases musicales saluant John Lewis confirme le bel attrait de cette composition.
    La signature Yonathan Avishai ne déserte bien sûr jamais le CD : parties de piano qui prodiguent agréablement autant de notes que d'espaces (Dancing Child, par exemple, qui intègre de plus un curieux petit dandinement batifolant sur un flux basse/batterie écrasant le champignon); expression poétique et romantique dans laquelle s'intercale l'abandon, lui-aussi sentimental, parfois orientalisant, d'un long et superbe solo de contrebasse (The Letter).
    La diversité est constamment du voyage. Ambiances latinos, airs africains et comptines parviennent miraculeusement à se combiner dans Later That Day. Yonathan Avishai fait souvent le mur pour aller gambader hors des chemins balisés mais ne délaisse jamais la maison jazz. C'est ce qui affleure une nouvelle fois à l'audition de Sketch Of Barcelona où une fibre hispanisante ne trahit pas une maîtresse forme jazzy. Enfin, écouter par le biais de ce CD Yonathan Avishai interpréter Cornet Chop Suey (1926) de Louis Armstrong est aussi plaisant que d'écouter Keith Jarrett jouer Aint' Misbehavin (1929) de Fats Waller.

                                                                                              Didier Robrieux

 

 

Photo : Eric Garault


DR/© D. Robrieux