DISQUES
JOSÉ FALLOT
Nouvel album
Another Romantic
Opus # 4
Pour réaliser son nouveau CD — quatrième d’une série intitulée Another Romantic —, le bassiste, compositeur et chef d’orchestre José Fallot s’est adjoint le concours d’une douzaine de jazzmen et jazzwomen appréciés et de première force ainsi que la participation d’un chœur pour deux titres*.
Ce qui est aussitôt notable dans ce travail discographique, ce sont les combinaisons d’idées, le sens mélodique, les arrangements astucieusement fignolés, une direction de collectif circonspecte, efficace, de belles sonorités. José Fallot signe la quasi-totalité des compostions. La ligne esthétique « jazz-rock-pop » qu’il n’a jamais cessé de défendre est bien sûr à nouveau présente dans l’album. Elle donne lieu ici à un ensemble structuré mais léger, raffiné, non dépourvu de passion, de ferveur. José Fallot est un praticien des transitions, des changements de braquet, des périodes soudaines et inégales administrées au rythme, un familier des ruptures funky. Pour autant, le flux de sa musique sait demeurer harmonieux et chantant. On peut aussi retrouver dans cette dernière une forme d’aménité groovante, plutôt « relax ».
Ce CD se caractérise également par la place importante qui est faite aux différents solistes. En effet, les partenaires qui ont entouré José Fallot pour cet Another Romantic Opus 4 ont certainement été bien aise de participer à cet enregistrement car le bassiste-leader leur a offert, en dehors des expositions thématiques, de nombreux espaces pour le développement de leurs chorus. Que demander de mieux lorsque l’improvisation peut s’exercer largement !
Avec Minor Circle, morceau à qui il revient de débuter l’album, le temps a comme subi une accélération inhabituelle. Le ressenti provient sans doute de l’effet « tic-tac » précipité, implacable, imprimé par la batterie qui balise de bout en bout ce titre, la basse de José Fallot veillant conjointement au grain. Le thème de Minor Circle est une boucle plaisante, vivace, entêtée, dans laquelle on perçoit comme une forme de langage parlé, déclaratif. Versant chorus, Olivier Hutman au clavier nous fait bénéficier d’un jeu perlé, aéré, ingénieux. Usant de sa puissance naturelle, le bugle d’Alex Tassel éclaire le morceau avec justesse et parcimonie. Beaucoup de naturel et de classe pour l’alto de Pierre-Olivier Govin qui s’exprime quant à lui dans un discours sobre, éclairci, qui ne phagocyte pas tout l’espace imparti.
3 Sides est une complainte traînante, nonchalante, au parfum un brin nostalgique, dont la vertu mélodieuse en impose. Ici encore chaque improvisateur apporte un tribut personnel bien « typé » mais toujours humble, clément, avantageusement coordonné, parfaitement adapté à cette douceur un peu valsante : fertile imagination nourrissant le jeu du guitariste, enchaînements swing tout en suspension du vibraphone, exposé très narratif, très seyant de la basse, phrases cool, rayonnantes pour le bugle.
Après un court préambule « romantique » au piano, les instruments interprètent ensuite tour à tour The Way, thème phare de l’album. Une silhouette toute latine se dessine. On entre dans un monde un peu mystérieux où se superposent singulièrement languidité et exaltation. Primat du récit mélodique, du chant pour cet hymne recueilli. L’air de The Way possède cette capacité de vous trotter joliment et avec obstination dans la tête.
Fort d’un thème joué à l’unisson avec la chanteuse Carole Sergent — et contraint par ailleurs de tenir compte des incartades de la rythmique comme des coups de semonce des cuivres, anches et consorts —, Joyeux Rameur se déploie gaiement avec une énergie volontaire et zélée. Deux longues « respirations » sonores annoncent Annecity Blues. On les retrouve brièvement en back dans une entrée rythmique franche, qui sait ce qu’elle veut. L’introduction de ce morceau fait immanquablement penser à celles — tropicales et caliente — concoctées par Dizzy Gillespie ou par Ray Bryant dans leurs versions de Con Alma (respectivement 1954 et 1960). Annecity Blues s’appuie sur un rythme entraînant, un grand motif au lyrisme parfois « laloschifrinien », des solos à nouveau admirables, réfléchis, qui ne laissent aucun accès au tape-à-œil.
On a grand plaisir à écouter Blues In 8 To 12, un blues « fait maison » dans lequel vibraphone, saxophone et bugle prennent l’avantage. Mais voila qu’avec What's your Game, la soul a entrepris de recevoir chez elle un voisin de pallier assez turbulent : un rock looké Woodstock ! C’est Guillaume Laidet qui assure le solo transgresseur à la guitare électrique.
Enfin, autre bon moment du disque : les arrangements commis sur une reprise d’Arsenic Blues (célèbre musique du générique de l’émission télévisée Les Cinq Dernières Minutes écrite par Jean Marcland). La version est plus dynamique, moins lugubrement dramatique, mais le climat « série policière » à suspense ne perd rien de son intensité. Dans ce morceau, la partie de bugle joue une fois de plus un rôle décisif. Le vibraphone passe la grille des accords au peigne fin et ne laisse rien dans l’ombre. Quant au piano, il démêle les intrigues qui lui sont confiées avec brio. Le crime ne paye pas, le jazz l’emporte...
Didier Robrieux
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*José Fallot (basses), Alexandre Tassel (bugle), Pierre-Olivier Govin (saxophone alto), Pascal Bivalski (vibraphone), Sylvestre Planchais (guitares), Olivier Hutman (claviers), Etienne Brachet (batterie); invités : Mireille Julien (violon), Tullia Morand (flûte), Hervé Defrance (trombone), Guillaume Laidet (guitare), David Lewis (trompette), Carole Sergent (vocal); Anouck Planchais & le chœur du JACP (Jazz Au Chesnay Parly2).
[Juillet 2021]
DR/© D. Robrieux