Livre

Pannonica de koenigswarter

PANNONICA
DE KOENIGSWARTER

Les musiciens de jazz
et leurs trois vœux

 

Le portrait de Pannonica de Koenigswarter (1913-1988), cette grande dame du jazz, mélomane sensible et éclairée, protectrice des musiciens, n’est plus à faire. Pannonica est une étoile qui a brillé et qui brillera pour longtemps dans le cœur des interprètes de musique. Elle aura fréquenté, applaudi, accueilli, encouragé certains d’entre eux (les plus illustres comme les moins connus) ; elle aura offert le gite et le couvert ainsi qu'une aide matérielle et financière continue à beaucoup d’autres.
          Agrémenté de 150 photos, le livre Les Musiciens de jazz et leurs trois vœux rassemble une série de mini interviews réalisées par Pannonica de Koenigswarter auprès de 300 de ses amis jazzmen et jazzwomen auxquels elle a demandé d’exprimer leurs vœux les plus chers.

          La plupart du temps, les musiciens sollicités ont émis de façon lapidaire des vœux qui, à l’évidence, n’ont pas été formulés dans l’espoir d’être un jour exaucés. Selon la loi du genre, ces vœux ont davantage la consistance de rêves, voire de rêves fous. Ils témoignent surtout d’humeurs, d’états d’esprit individuels et, plus généralement, d’une condition sociale commune à tous et toutes dans le contexte de l’époque (Etats-Unis, New-York, années 1945 à 80).

        Avoir de l’argent, beaucoup d’argent, avoir enfin de quoi vivre et de quoi faire vivre sa famille décemment, sereinement, forment les premières préoccupations. La sauvegarde de la bonne santé fait également partie des aspirations prioritaires à égalité peut-être avec la quête de l’amour heureux, le souhait d’une paix mondiale et le désir d’atteindre la maitrise complète de son art1. A la lecture de nombreuses réponses de musiciens, on discerne par ailleurs toute l’étendue que revêtait, à cette période, la bataille pour la défense de la légitimité souvent controversée du jazz2.

      Les photos de l’ouvrage nous mettent en présence, non sans émotion, de la personne physique de Pannonica de Koenigswarter. Elles ravivent de surcroit le respect, l’amour, l’admiration, la reconnaissance qui lui reviennent. D’autre part, ces clichés photographiques souvent ternes et défraichis (ils ont été pour leur plus grand nombre pris au Polaroid) illuminent bien sûr avec une intensité incroyable tous les musiciens et les musiciennes de jazz qui en sont les sujets. Ils renvoient à tout ce que l’on doit à ces artistes, à leurs œuvres et à leurs jeux respectifs.

      Si on lâche la bride au feeling, il y a aussi le constat de cette « bizarrerie » qui peut saisir celui ou celle qui feuillette ce livre. En effet, à regarder ces visages, ces corps de musiciens et de musiciennes aujourd’hui en majorité disparus, une sorte de trouble vous prend comme pourrait le faire la vue d’images pieuses. Point question ici, bien évidemment, de dévotion religieuse, de choc mystique ! Seulement la perception d’un impact inhabituel : celui d’une incarnation puissante, d’une restitution — presque sans médiation — de l’envergure phénoménale et fascinante des musiciens et des musiciennes de jazz qui émanent de ces photographies.

Didier Robrieux

Les Musiciens de jazz et leurs trois vœux
Pannonica de Koenigswarter

Ed. Buchet-Chastel, 2006

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1. « Arriver à faire tout ce que je veux avec mon sax. »
(Sonny Rollins (1930), saxophoniste, p. 69)
« Avoir une fraicheur inépuisable dans ma musique. »
(John Coltrane (1926-1967), saxophoniste, p. 61)
« J’aimerais réussir à jouer du piano comme je voudrais. »
(Oscar Peterson (1925-2007), pianiste, p. 200)
« Réussir à tirer de cette batterie un son qui n’a encore jamais été entendu. »
(Walter Perkins (1932-2004), batteur, p. 168)
« Arriver à jouer exactement la musique que j’ai dans la tête. »
(Jay Jay Johnson (1924-2001), tromboniste, p. 87)
Etc.

2. « Je voudrais que le jazz soit accepté comme tout le reste. »
(Cedar Walton (1934- 2013), pianiste, p. 174)
« Que l’Amérique reconnaisse que c’est un art véritable. »
(Charlie Rouse (1924-1988), saxophoniste ténor, p. 88)
« La pleine reconnaissance que cette musique est un art à part entière. »
(Elvin Jones (1927-2004), batteur, p. 54) 
« Je voudrais que le public en général se rende compte de l’importance du jazz. »
(Leo Wright (1933-1991), saxophone alto, flutiste, clarinettiste, p. 218)
« Je souhaite que le jazz fasse partie intégrante de la musique, et j’espère que les Américains vont considérer que le jazz contribue à la création artistique américaine, parce que je pense que potentiellement il a sa place à côté des toutes les autres grandes musique de ce monde. »
(Louis Bellson (1924-2009), batteur, p. 230)
Etc.

*On trouvera par ailleurs une courte évocation de Pannonica de Koenigswarter dans un article sur Thélonious Monk consultable en rubrique « ARTICLES / JAZZ » de ce site.  

 

[Décembre 2020]
DR/© D. Robrieux